SÉMINAIRE “Rites d’institution et rites de délégation. A propos de deux régimes d’intervention sur autrui” (A. Ogien)

Le 26 avril 2021, nous avons eu le plaisir d’accueillir Albert Ogien, directeur de recherche au CNRS et membre du CEMS-EHESS.

La vidéo de son intervention ainsi que la discussion basée sur les questions de Solène Mignon et Gaspard Wiseur, doctorant.e.s du projet, est disponible ci-contre.

COMPTE-RENDU DU SÉMINAIRE

Le 26 avril 2021, l’équipe du projet ERC-CoachingRituals recevait le sociologue français Albert Ogien, directeur de recherche au CNRS, enseignant à l’EHESS et l’Université Paris VIII. Ses travaux portent sur une “sociologie de la connaissance en actes”, largement influencée par l’ethnométhodologie, et portant sur des terrains variés (entre autres, sur des institutions de santé mentale).

Sa présentation s’est développée autour de deux différents régimes d’intervention sur autrui : les rites d’institution et les rites de délégation. Pour bien comprendre la différence entre ces deux régimes d’intervention sur autrui ainsi que les conditions de possibilité de chacun, Albert Ogien a commencé par contextualiser la montée en puissance de ce que nous qualifions, dans le projet ERC-CoachingRituals, de “logique du coaching”. Cette montée tient pour lui à l’arrière plan de la question de l’évaluation, et plus particulièrement de l’auto-évaluation ou auto-diagnostique depuis les années 1990, dans laquelle l’idéal du “moi épanoui” devait émaner des individus eux.elles-mêmes. Dans cette optique, le coach n’impose pas son point de vue mais s’empare d’une demande émanant de l’individu en question. Cette caractéristique du travail à partir d’une demande définirait le rite de délégation, à l’inverse du rite d’institution, dont la caractéristique principale est qu’un mandat est donné à celui qui agit sur un autre, qui adopte une démarche pouvant être légitimée par des outils connus des deux individus.

Le rite de délégation se fonde sur la caractéristique qui régit la vie sociale ordinaire : l’égalité entre tou.te.s. Si dans certains cas bien précis (police, médecin, etc.), l’égalité est rompue au profit d’une asymétrie entre individus, le rite d’institution agit alors pour renforcer cette rupture en se légitimant à l’aide de sanctions. Dans les rites de délégations, la relation d’asymétrie existe toujours mais elle est consciemment choisie par les deux parties.

Pour montrer que les relations entre individus ne sont jamais exemptes d’humanité, Albert Ogien prend l’exemple des camps de concentration ou des “institutions totales” selon Goffman pour montrer que même si les deux rites soulignent et renforcent la relation asymétrique, ils agissent comme marqueurs sociaux mais aussi comme indicateurs de la présence d’autrui au sein de la société. L’apprentissage de ces rites ne passe souvent pas par un système normatif mais par une reconnaissance et une reproduction sociale. Ainsi, dans nos sociétés, les grands rites ont cédé la place à une multitude de “petits” rites qui rythment le quotidien.

Pourquoi parler de rite de délégation? L’individu délègue une partie de soi à l’autre dans une relation de confiance. L’individu en charge du rite peut alors donner des conseils, des avis, des prescriptions alors que le ou la “coaché.e” peut montrer son acceptation de cette délégation en écoutant et suivant lesdits conseils. S’instaure alors une relation dans laquelle il est possible de dire tout ce que l’on souhaite. Ainsi, l’individu est libre de quitter la relation nouée par le rite de délégation suite à des ruptures ou désaccords.

La discussion a été par la suite ouverte par les deux doctorant.e.s du projet ERC, Solène Mignon et Gaspard Wiseur. Gaspard est revenu sur les composantes possibles d’un “air de famille”, faisant référence à Wittgenstein, de ces rites pour pouvoir les classifier ensemble et comprendre au mieux quelles règles constitutives suivent ces deux régimes d’intervention sur autrui. Il a également questionné la part d’institué et d’instituant dans le rite de délégation et la part de délégation dans le rite d’institution.

Solène est ensuite revenue sur la notion d’égalité en la questionnant au regard des enfants : est-ce que les enfants entrent dans ce régime d’égalité de tou.te.s, alors même qu’une poussée pour plus de reconnaissance des droits des enfants pourrait indiquer le contraire ? De plus, est-ce que la relation parents/enfants reste strictement dans le domaine du rite d’institution, l’enfant ne pouvant pas forcément donner son consentement éclairé à ses parents pour déléguer des actes de la vie quotidienne ? Ensuite, quid de l’apparente non-sanction dans les rites de délégation alors que certains parents eux-mêmes se sanctionnent socialement lorsqu’ils ne respectent pas les préceptes qu’ils ont pu voir ou lire ? Enfin, Solène s’est interrogée sur la finalité de ces rites de délégation en lien avec la question de l’autonomie : est-ce que le but final d’un rite de délégation, dans nos sociétés, ne serait pas de réussir à réaliser ce rite soi-même (avec son propre potentiel), c’est-à-dire pour la scène de la parentalité par les parents eux-mêmes, alors qu’on observe justement une tendance au rejet des discours de coachs pris dans des rites de délégation ?

Solène Mignon et Gaspard Wiseur.