SÉMINAIRE “De l’éducation des parents au coaching parental. réflexion sur les reconfigurations d’un problème public.” (Claude Martin)

Le 22 mars 2021, nous avons eu le plaisir d’accueillir Claude Martin, sociologue, directeur de recherche au CNRS et professeur à Paris-Descartes, l’EHESP, Science Po Rennes, pour le troisième séminaire de l’année 2021.

La vidéo de son intervention ainsi que la discussion basée sur les questions des doctorant.e.s du projet est disponible ci-contre
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COMPTE-RENDU DU SÉMINAIRE

Le 22 mars 2021, l’équipe du projet ERC-CoachingRituals recevait le sociologue français Claude Martin, directeur de recherche au CNRS, anciennement titulaire de la chaire « Lien social et santé » de l’EHESP et de la chaire « Caisse nationale des allocations familiales : Enfance, famille et parentalité ». Ses travaux se posent à l’articulation de la sociologie de la famille et des politiques sociales. Son dernier projet européen, « Gouverner les nouveaux risques sociaux », compare les prises en charge et l’intervention sur autrui des plus jeunes en Allemagne, France, Royaume-Uni, Pays-Bas et Suède. Il est également l’auteur de nombreux écrits sur la parentalité dite “intensive” et/ou “bienveillante”, notamment en lien avec le centre des Parenting Culture Studies de l’Université de Kent (sur le déterminisme parental, Furedi, 2002, voir aussi Martin, 2020 ; sur la sur-responsabilité des parents et des mères, Bristow, 2009 ; sur l’omniprésence des neurosciences, MacVarish, 2016).


Claude Martin a présenté ses dernières réflexions et est revenu sur la généalogie des interventions publiques de parentalité en France dans une séance intitulée « De l’éducation des parents au coaching parental. Réflexion sur les reconfigurations d’un problème public. », tirée notamment de son ouvrage “Être un bon parent”. Une injonction contemporaine (2014).

Après avoir présenté les six grandes périodes qui correspondent chacune à des dispositifs gouvernementaux différents depuis 1945 en France, Martin revient sur le mot même de “parentalité” qui émerge et prend une place centrale dans les politiques publiques des années 1990. En citant le sociologue anglais Frank Furedi, il montre que nous sommes entrés dans une période où les parents sont représentés comme les seuls acteurs de socialisation de l’enfant : l’avenir de leurs enfants mais aussi de la société dépendrait, en dernière analyse, des premières années de la vie de l’enfant. Les politiques publiques parlent d’investissement à la fois financiers et dans le futur de la société, futur dont les parents seraient les seuls garants, les seuls responsables. Ces investissements dans la petite enfance et le soutien aux parents cherchent ainsi à éviter les comportements “anti-sociaux” des futur.e.s citoyen.ne.s.

Ainsi, si on assiste à de nouvelles formes de politiques publiques, celles-ci correspondent-elles à un changement de nature de cette très vieille histoire de l’éducation des parents ou s’agit-il seulement d’un remaniement d’anciennes pratiques ? Martin évoque ainsi un « revival » des années 1990 qui s’inscrit dans une « parentalisation du social », plaçant les parents au centre de toutes ces nouvelles préoccupations.


Dans la logique de ce “revival“, Martin note deux « turning point » dans les politiques publiques de la parentalité en France après 1990 : en 1998 avec la création du Réseau d’écoute, d’accueil et d’accompagnement des parents et la publication de deux rapports nationaux (Gillot et CNAF) et en 2010 avec la création du Conseil national de soutien à la parentalité, le rapport de la Cour des Comptes, de l’OCDE sur le bien-être des enfants dans le monde et celui du Haut Conseil de la famille en 2011. Ces turning point montrent un intérêt renouvelé pour la prise en charge des parents dès le désir d’enfant et renforcent l’accent mis sur les pratiques privées et intimes des familles. De nouveaux outils tels que ceux fournit par les neurosciences cognitives viennent étayer ces demandes des politiques publiques aux parents, en soulignant l’importance primordiale des premiers moments de vie de l’enfant.

Parallèlement à ces politiques publiques s’ouvre un énorme marché du conseil, du coaching, destiné aux parents et surtout aux (jeunes) mères. Revenant rapidement sur l’historique des grands noms de ces conseils (Spock, Pernoud, Dolto, etc.), Martin montre qu’on assiste aujourd’hui à des représentations de « nouvelles » formes de parentalité, comme la parentalité intensive avec l’image des parents hélicoptères, mais aussi avec la parentalité dite narcissique (Hendrick 2016), qui se fonde sur un désarroi et une incertitude des parents face au futur. Le coaching parental peut alors viser à redonner du sens aux pratiques des parents, en essayant de répondre à la crainte grandissante d’un déclassement social pour leurs enfants.


La discussion suite à la présentation était menée par les deux doctorant.e.s du projet ERC – CoachingRituals, Gaspard Wiseur, s’occupant de la scène “éducation” et Solène Mignon, chargée de la scène « parentalité ».

Après être revenu sur l’influence des neurosciences cognitives et l’appropriation “profane” des discours qu’elles produisent, Gaspard Wiseur a interrogé Claude Martin sur la place qu’il attribue à l’enfant dans ses analyses, en proposant deux solutions : l’une reconnaissant l’agentivité totale de l’enfant, vision prônée par les Childhood Studies, et l’autre considérant l’enfant en ce qu’il fait partie d’une “relation interne” (Marquis, Mignon et Wiseur, 2021) et en ce sens inséparable de la définition sociale que l’on donnerait à l’adulte. Nous renvoyons à l’article (en cours d’évaluation) cité ci-dessus aux plus curieux et curieuses des lecteurs et lectrices. La deuxième question adressée à Claude Martin visait à élucider le paradoxe des “parents hélicoptères”, ces parents qui sur-investissent l’éducation de leurs enfants au point d’entraîner des difficultés tant pour eux-mêmes que pour leur progéniture. Ce sur-investissement parental, si l’on se place dans une perspective bourdieusienne, est un produit culturel des classes moyennes, toujours promptes à innover sur ces sujets et à légitimer ces pratiques comme “les bonnes pratiques”. Comment expliquer, alors, qu’elles en sont les premières victimes ? L’intensive parenting en tant que produit et légitimé par les classes moyennes se serait-il retourné contre elles ?

Solène Mignon, reprenant la notion fournie par Claude Martin dans sa présentation, s’est interrogée sur un possible nouveau « turning point » des années 2019-2020, en référence, notamment, à la loi contre les Violences Éducatives Ordinaires en 2019 et la Commission des 1000 premiers jours en 2020. Assiste-t-on aujourd’hui à un nouveau revival des politiques publiques qui s’inspirent largement des pratiques de la parentalité dite bienveillante, positive, alors même que la co-directrice de la Commission des 1000 premiers jours n’est autre que la figure française de la parentalité positive, Isabelle Filliozat ? Quelles seraient les conséquences de ce nouveau turning point pour les pratiques de parentalité et les politiques publiques en France ? Solène est ensuite revenue sur la question du burnout parental en faisant le lien avec la parentalité dite narcissique, et en questionnant Martin sur la justification de ce nouveau concept. Enfin, Solène a questionné la notion de « déterminisme parental » amenée par Frank Furedi avec la notion d’épigénétique et ses trouées dans le domaine du coaching parental. Est-ce que l’épigénétique est une réponse à ce déterminisme parental, qui permet d’être autonome de son propre ADN et donc de changer le cours de sa propre vie ?


Solène Mignon et Gaspard Wiseur

Bibliographie


Bristow, J. (2009). Standing Up to SuperNanny. Societas.
Furedi, F. (2002). Paranoid parenting. Why ignoring the experts might be best for your child. Chicago Review Press.
Hendrick, H. (2016). Narcissistic Parenting in an Insecure World. A history of Parenting Culture 1920s to present. Policy Bristol Press.MacVarish, J. (2016). Neuroparenting. The Expert Invasion of Family Life. Palgrave MacMillan.
Marquis, N., Mignon, S. et Wiseur, G. (En cours d’éavluation). Intervenir sur le potentiel caché des enfants. Une perspective sociologique et comparative.
Martin, C. 2014. “Être un bon parent”. Une injonction contemporaine. Presses de l’EHESP.
Martin, C. 2020. “Le déterminisme parental en question : la parentalisation du social”. Lien social et Politiques, 85.