Début d’une nouvelle étape : démarrage du WP2
L’année 2021 a marqué la fin du workpackage 1 (WP1), qui s’est achevé en novembre avec la tenue du séminaire international « The Flipside of Autonomy » à Aalborg, au Danemark. Nous entamons maintenant le WP2 dont l’objectif principal est d’étudier empiriquement les institutions promouvant la logique du coaching dans les domaines de l’éducation, de la parentalité et de la santé mentale en Belgique francophone et en France.
Pour rappel, l’objectif principal du projet est d’établir une meilleure compréhension de la pratique omniprésente et insaisissable du coaching en tant qu’action rituelle spécifique aux sociétés libérales-individualistes qui soutiennent l’idée d’un potentiel caché en chacun.e de nous. Le WP1 consistait en une étude et une comparaison des évolutions morales dans ces trois domaines, en France/Belgique francophone, mais aussi au Royaume-Uni et au Danemark, pour comprendre les conditions d’émergence de la logique du coaching sur ces scènes. Solène Mignon et Gaspard Wiseur (doctorant.e.s), Alex Maignan (stagiaire), Véronique Degraef et Emmanuelle Lenel (post-doc), Chloé Daelman (ingénieure de recherche) et Nicolas Marquis (PI) ont mis en lumière des représentations, des attentes et des jeux de langage qui traversent ces champs, en lien avec une tendance générale à concevoir les relations entre les personnes exerçant une position « haute » (un enseignant, un parent, un soignant – Person in Upper Position (PUP)) et celles en position « basse » (un élève, un enfant, un patient – Person in Lower Position (PLP)) de manière plus symétrique.
Sur la scène de la santé mentale, l’équipe s’est concentrée sur l’avènement de deux figures : les « entendeurs de voix » et les « hypersensibles ». Ces deux « personnages » ont comme point commun de reconfigurer les rapports entre l’institution psychiatrique et les « patients » dans le champ de la santé mentale. Refusant les étiquettes dont la première affuble les seconds (tel que le qualificatif de schizophrénie), disputant les compétences légitimes des PUPs, des mouvements de personnes se créent, préférant le qualificatif de neuro-atypiques à toute appellation rappelant un rapport à une normalité. L’organisation de ces mouvements, les discours qu’ils portent, les rapports qu’ils entretiennent avec les institutions classiques sont autant de terrains qui ont été explorés afin de mieux cerner comment ces évolutions font bouger les lignes des façons d’intervenir sur autrui en santé mentale.
Sur la scène de la parentalité, Solène Mignon s’est penchée sur la revendication, souvent en termes de « révolution », d’une plus grande place à donner à l’enfant, individu de droit, que l’on retrouve notamment dans les débats sur la reconnaissance et l’acceptation des « Violences Éducatives Ordinaires » en France. Entre représentations dites traditionnelles de l’enfant (par exemple celle de « l’enfant-roi ») et représentations nourries par les neurosciences affectives et sociales (par exemple celle de « l’enfant (au cerveau) immature »), on assiste à une recomposition de la façon dont est distribuée la responsabilité en parentalité, où l‘environnement est représenté comme dangereux et imposant des contraintes à un enfant perçu comme naturellement bon, voire un exemple moral à suivre (en particulier au Danemark avec « l’enfant compétent »). Selon les représentations dominantes, il est attendu du parent qu’il « suive » (Danemark), ou encore qu’il « développe » et « protège » le potentiel caché de l’enfant (Royaume-Uni, France et Belgique francophone).
Les recherches menées par Gaspar Wiseur sur la scène de l’éducation ont porté principalement sur le niveau préscolaire. Les logiques institutionnelles à l’œuvre dans ce champ sont marquées par une oscillation entre deux traditions habituellement présentées comme concurrentes. D’une part, la « tradition préscolaire » (Bennett, 2005), qui marque l’école maternelle franco-belge, consiste en une valorisation des activités à visée scolaire : on veille à préparer les enfants dès leur plus jeune âge à la « forme scolaire » (Vincent, 1994) en leur inculquant les fondamentaux (lire, écrire, compter et calculer). D’autre part, dans la tradition dite « socio-pédagogique » (Bennett, 2005), au Danemark, la visée est moins d’inculquer les fondamentaux que de veiller, de manière holistique, au développement au sens large des enfants. Les activités valorisées sont dès lors le jeu libre et l’exploration, plus à même de rencontrer l’objectif de bien-être général de l’élève. Ces deux logiques et les arguments qu’elles déploient se voient opposées dans une controverse autour de la « scolarisation du préscolaire » (Garnier, 2016), soit la tendance croissante de ces institutions à reposer sur le pôle pré-primaire au détriment du pôle socio-pédagogique. Pour autant, si cette controverse est repérable dans chacun des pays étudiés, elle donne lieu, dans les curriculums, à des usages différenciés du jeu et du bien-être, critères différenciateurs de ces deux traditions. Jeu et bien-être de l’enfant sont, en France et en Belgique francophone, retraduits au prisme de la rationalité scolaire sous les formules : “pour bien apprendre, il faut être bien” ou “on apprend mieux en jouant”. Ces éléments s’éclairent à la lumière de ce que l’on peut observer dans le programme danois, qui valorise encore fortement jeu et bien-être pour eux-mêmes, et dans le programme anglais, qui révèle des mobilisations sécuritaires de ces notions Ceci étant, ces différentes mises en jeu du jeu et du bien-être ne s’éludent pas l’une l’autre : on retrouve des traces de la logique pré-primaire dans les institutions d’orientation socio-pédagogique, et vice versa. Mais les modalités de mobilisation du jeu et du bien-être varient en fonction des objectifs propres à ces traditions, en fonction de ce qu’on s’imagine être l’action qui convient sur ou avec l’enfant. De ceci, on peut faire l’hypothèse que les pratiques s’inscrivant dans la logique du coaching, notamment celles qui s’inspirent des sciences cognitives, tirent en partie leur légitimité de leur faculté à concilier les exigences préscolaires et holistiques.
Le WP2 est maintenant officiellement lancé depuis le début de l’année 2022 et occupera l’équipe pour une durée d’un an. Cette seconde phase du projet a pour objectif de décrire et d’analyser les institutions de coaching, leurs acteurs et les pratiques qu’ils promeuvent dans le but de faire acquérir au PUP (enseignants, parents, soignants) de nouveaux outils pour intervenir auprès des PLP (élèves, enfants, soignés) dans une perspective relationnelle plus symétrique. Nous nous pencherons également sur la manière dont les PUP y réagissent, endossent ou rejettent ces outils et plus généralement la logique du coaching.